Julie, 29 ans, française, nous dit tout sur le festival Transposition d’Annecy


Julie co-organise le festival Transposition, qui aura lieu du 17 au 28 mai 2016 à Annecy. Elle en parle si bien qu’on va lui laisser faire tout le travail. Et si vous ne savez pas quoi faire de l’argent que vous avez rapatrié in extremis du Panama, allez donc faire un tour ici.


Interview par Ian Ian & Violet.

Ian : Peux-tu te présenter en quelques phrases ?

Julie : Je m’appelle Julie, j’ai 29 ans, je suis prof de lettres modernes et j’ai créé avec des ami.e.s le festival Transposition dont la première édition se tiendra en mai prochain.

Peux-tu nous en dire plus sur ce festival ?

C’est le premier festival de films des minorités de genre et sexuelles de la ville d’Annecy en Haute Savoie. Il aura lieu du 17 au 28 mai prochain.

Le but était de donner à voir des films qui abordent les thématiques en lien avec les communautés minorisées en raison du genre et de l’orientation sexuelle en étant dans une démarche inclusive. Ça va être une grande fête pour tous et toutes.

À Lyon, on a le festival Écrans Mixtes, qui est un peu similaire. Tu connais ?

Un peu, oui. On trouve ça génial qu’il y ait de nombreuses initiatives allant dans ce sens. Écrans Mixtes est super pérenne, c’est vraiment bien !

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer ce festival ? Avez-vous eu des sources d’inspiration particulières ?

C’est à la fois une lecture et une rencontre. D’abord, j’ai rencontré Katia, mon binôme sur le festival. On avait toutes les deux milité dans pas mal d’organisations et on avait envie d’autre chose. Au même moment, on a lu un article de Marie Labory dans la revue Well Well Well. Elle y parlait de cinéma et elle évoquait ce qu’elle appelle la « transposition ». Un petit exercice de gymnastique mentale qui fait que lorsqu’on appartient à une minorité de genre ou à une minorité sexuelle, il est nécessaire de se mettre à la place du héros ou de l’héroïne pour construire ses modèles. On adore le cinéma et ça nous a beaucoup parlé. On a voulu proposer cet exercice à tout le monde. Quels que soient le genre ou l’orientation sexuelle.

Chacun vient avec son carnet, son crayon, et son cerveau ? Ou un cerveau suffit ?

Je crois qu’en fait, le but était de proposer d’autres modèles, d’autres représentations. On peut venir avec son cerveau, bien sûr, pour réfléchir à tout ça, tou.te.s ensemble. Mais on organise aussi une nuit consacrée aux pornographies féministes et queer. Venir avec ses sens,  sa personnalité et  sa sensibilité, c’est pas mal aussi.

Affiche

Combien de films allez-vous projeter ?

Une cinquantaine en tout. Il y aura des courts métrages, des documentaires et des films de fiction. On a essayé d’avoir la programmation la plus ouverte possible. Même s’il faut faire des choix parfois…

J’imagine que la recherche et la sélection est un vaste travail. Mise à part cette nuit pornographique et féministe, dont on reparlera juste après, les films sont tout public ?

Un des films est interdit aux moins de 16 ans, mais sinon oui, c’est tout public, tout ça est précisé sur notre programme accessible en ligne. Il y en a pour tous les goûts et tous les âges.  On a aussi prévu des séances scolaires !

Vous avez raison, c’est dès le plus jeune âge qu’il faut agir !

C’est ça ! On voulait vraiment être dans une démarche d’ouverture, créer du débat, de la discussion, c’est un moyen de lutter contre les discriminations et l’intolérance.

Sais-tu combien de films tu as vu, pendant la préparation de ce festival ?

Oh la la ! Tellement ! Sans compter tous les films auxquels on a pensé un moment, les films qu’on n’a pas pu projeter pour des questions pratiques, etc. Vraiment énormément ! Et encore, il y en a quelques-uns que je n’ai pas vus ! On était plusieurs pour la sélection.

Tangerine, de Sean Baker

Tangerine, de Sean Baker

Quels ont été les principaux obstacles et difficultés que vous avez rencontrés ?

Deux choses. D’abord, ça a été très compliqué parfois de trouver des films sur certaines thématiques. Par exemple, je trouve que les bi.e.s sont assez mal représenté.e.s au cinéma, assez peu aussi. En ce qui concerne les thématiques trans aussi, ça n’a pas forcément été facile. Le deuxième souci, c’est la question des financements. On n’a eu très peu d’aides des collectivités territoriales. On a donc lancé une campagne de financement sur Ulule. Elle se termine le 30 avril.

92%, vous y êtes presque ! J’espère que nos lecteurs seront généreux.

Oui ! Un dernier petit coup de pouce ! C’est vrai que c’est génial de voir qu’on est soutenu.e.s par le public.

Oui, c’est très bien parti ! Donc, cette soirée consacrée à la pornographie, peux-tu nous en dire plus ?

C’est une nuit consacrée aux pornographies féministes et queer, on l’a appelée notre « Nuit Queerotic ». C’était important pour nous de montrer que même dans la représentation de la sexualité, il y a un modèle dominant véhiculé par le porno mainstream. Le rapport au sexe est politique aussi. C’est très significatif, la pornographie, c’est aussi un moyen de construire des modèles, des représentations. On voulait présenter des films qui sortent de ce qu’on peut voir sur les plates-formes type Youporn et compagnie. Il y a un porno fait par des femmes, pour des femmes, qui respectent les acteurs et les actrices. Et surtout qui montre d’autres corps et d’autres pratiques, et qui est safe aussi !

Est-ce toujours fait par et pour des femmes ? Certains hommes veulent aussi voir des pornos féministes !

Alors, tous les films qu’on projette sont réalisés par des femmes. Quand je dis pour des femmes, c’est-à-dire que le plaisir, et plus généralement la sexualité, des femmes sont pris en compte. Le but n’est pas la représentation d’un rapport hétéronormé, en somme.

Que les réalisatrices soient toutes des femmes, c’est un choix, ou c’est parce que vous n’avez pas trouvé de tels films faits par des hommes ?

Disons que c’était important pour nous de montrer le travail de ces réalisatrices, Ovidie, Lucie Blush et Sarah de Vicomte. C’est aussi une façon de se réapproprier quelque chose qui est considéré dans la société comme un truc de mec. En fait, les femmes font aussi du porno, elles s’y intéressent, et elles le font bien. C’est une démarche résolument féministe.

Ça fait plaisir à entendre ! Pas d’Erika Lust ? Ça va nous changer un peu…

Pas pour l’instant, mais on aurait pu penser à elle ou à Jiz Lee, bien sûr. Ou Zahra Stardust dont je trouve le travail très intéressant.

Je ne connais pas très bien Sarah de Vicomte, ni Jiz Lee ou Zahra Stardust. Mais j’ai une question : existe-t-il un porno féministe ET hardcore ? Je veux dire par là, qui ne soit pas forcément doux et sensuel ? Je connais des filles qui trouvent que ça manque…

Mais justement! Croire que le porno queer et féministe est un porno “mignon” est une erreur.

Ah !

C’est associé à l’image toute douce des femmes, alors que certaines femmes ont des fantasmes hard.

Erika Lust, c’est quand même assez soft, pour ce que j’en ai vu.

Ovidie a fait un film très intéressant, X girl contre supermacho. On peut voir du porno fait par un homme et la version féministe du film. La différence, ce n’est pas les pratiques. C’est la vision qu’on a de la sexualité. Dans Fuck Dolls, de Zahra Stardust, deux femmes se servent de barbies comme sextoys. Ce n’est pas vraiment guimauve. Et ça permet de mettre en perspective les représentations liées au genre.

On va regarder ça !

Ça vaut le coup d’œil !

Est-ce que tous les films que vous allez projeter sont des films “excitants” ? Car le porno “underground” tel que celui montré lors du Pornfilmfestival de Berlin, est très intéressant, mais n’a pas toujours vocation à être excitant.

Je pense que ce n’est pas sa vocation première, d’être excitatoire, mais ce n’est pas contradictoire. Quand on regarde un film de Lucie Blush, on a envie d’être dans la même pièce que les personnages. Le film de Sarah de Vicomte est très érotique, les images sont très belles. Le film d’Ovidie qu’on va présenter, Le Baiser, propose une scène pansexuelle dans une piscine très excitante aussi !

Le Baiser, d'Ovidie

Le Baiser, d’Ovidie

De nouveaux territoires à explorer !

C’est ça ! Le sexe, et donc le porno qui est un discours sur le sexe, est politique, certes mais ce n’est pas contradictoire !

Pour un lecteur qui ne connait que PornHub et Marc Dorcel, quels sont les trois films que tu suggères de voir en premier ?

Il faut venir voir Le Baiser d’Ovidie le 20 mai dans le cadre du festival ! Mais les trois films que nous allons projeter valent d’être vus ! On a vraiment voulu une programmation qui reflète nos goûts, nos sensibilités. Forcément, ce sont les films que nous allons diffuser que je recommande.

En somme, le lecteur doit absolument venir à cette soirée !

La lectrice aussi !

Évidemment ! Pas de littérature dans ce festival ? Tu es pourtant bien placée pour connaitre quelques textes érotiques !

Alors, justement, le choix était de se concentrer sur le cinéma – même si nous avons quelques festivités en marge, dont une super soirée de clôture ! – mais ça aurait pu nous inspirer.

Peut-être en 2017, alors…

C’est ça ! Ce serait super !

Que va-t-il se passer lors de cette soirée de clôture ?

Nous avons deux lives programmés, les géniales Mansfield.TYA et Louise Roam et deux DJ sets : Nicol et WNK. Ce sera un grand moment de fête et de musique !

Voilà qui clôture notre interview en beauté. Quelque chose à ajouter ?

Juste un sourire. Merci beaucoup ! Ce fut un plaisir !

Le plaisir est partagé, on vous souhaite bonne chance et bon courage !

Et n’hésitez pas à venir faire un tour à Annecy !

Le Repas Domnical, court métrage de Céline Devaux

Le Repas Domnical, court métrage de Céline Devaux



Comments are closed.