Gier, 51 ans, pourrait être acteur porno mais préfère enseigner les Sciences Humaines.
Une fois n’est pas coutume, Sleeping Bag fait une exception et interroge un homme. Il se prénomme Gier. Il dessine. Des corps, le plus souvent. Ou des arbres. Mais il affirme que les arbres sont aussi des corps, en quelque sorte. Vous verrez. Quand il ne dessine pas, Gier écrit. Ou il répond à des interviews – parfois. Et après, allez donc faire un petit tour sur son blog, Carnets d’Eros, pour parfaire votre journée.
Interview par Ian. Dessins de Gier.
Ian : Peux-tu te présenter en quelques phrases ?
Gier : Homme, 51 ans. J’aime le dessin, la peinture, l’écriture… la vie, la bouffe, bien boire et bien rigoler ! Les femmes, aussi !
Uniquement les femmes ?
J’aime les Hommes (note la majuscule). Mais je n’ai jamais aimé un homme… dans le sens où on entend généralement le mot “aimer”. Mais j’ai eu des expériences avec des hommes. Putain, on rentre vite dans le vif du sujet !
Toujours ! D’habitude, on demande aux filles si elles savent faire pipi debout, mais dans ton cas, j’imagine que la réponse est oui.
(Rire) oui ! Quoiqu’il m’arrive de m’assoir pour lire !
J’allais te demander si tu sais faire pipi assis ! J’ai ma réponse. À lire ton blog, je pense qu’on peut dire que la sexualité a une place importante dans tes œuvres. Tu confirmes ?
En effet. Mais je peins et dessine aussi des animaux (c’est le corps, toujours le corps), et aussi des arbres. Je me demande si dans ce dernier cas, ce ne sont pas aussi des corps. Moins que le sexe, le corps m’intéresse beaucoup. Car les animaux sont également nus…. ou à poil !
Cette fascination pour le corps, elle se manifeste aussi dans ta vie de tous les jours ?
Oui… Je crois que oui. J’aime beaucoup regarder les corps, les gens, les attitudes, les poses, les mimiques, la façon dont les gens se mettent en scène, etc. Je regarde tout le monde, femmes, hommes, jeunes et moins jeunes, petits et grands, gros… Je suis naturiste aussi pour voir les gens. Ce n’est pas forcément sexuel… mais les parades humaines me plaisent bien.
Je suis un peu comme toi, et dans mon cas, c’est la photographie qui me permet d’exploiter ce penchant…
Il m’arrive parfois de mémoriser des poses et de demander ensuite à des modèles de les reprendre ! Ou à ma compagne.
Certains photographes font un peu la même chose en reconstituant des scènes de vie. Depardon, par exemple… Tu m’as dit l’autre jour que tu menais une double vie. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai femme et enfants, et … des aventures dans la mesure où ma vie de sédentaire me permet d’en avoir.
Et ton blog fait partie de ta vie secrète ou de ta vie “officielle” ?
Le blog fait partie de ma vie secrète. C’est-à-dire que personne de mon entourage proche ne sait qu’il existe. Ma compagne connaît seulement mes tableaux érotiques.
Tu n’as jamais eu la volonté ou la tentation de tout dévoiler à ta compagne ?
La tentation, oui. La volonté, pas vraiment. Le problème se pose quand les désirs, les envies et les seuils de tolérance sont asymétriques. Malgré tout, j’aime ma compagne et j’adore toujours lui faire l’amour. Et elle aussi ! C’est une personne très riche, très dense psychologiquement et intellectuellement, et son corps semble avoir été fait pour les plaisirs.
Justement, je me posais la question : est-ce pour avoir d’autres pratiques que tu as des aventures, ou est-ce pour avoir d’autres femmes/hommes ?
Les deux ! D’autres pratiques et d’autres rencontres. Je sais que, par exemple, le triolisme serait impossible à envisager avec ma compagne, que ce soit avec un homme ou avec une femme. Et puis j’aime rencontrer des gens, j’aime la rencontre des corps, c’est… trop fort, quoi !
Mais tu penses que ta compagne serait incapable de comprendre et/ou d’accepter ta vision des choses, c’est ça ?
Absolument. On a quand même vaguement évoqué la chose. J’y vais doucement, par la bande, en lançant des conversations comme ça. Donc, on parle quand même. Mais ce serait inenvisageable pour elle. C’est une fidèle qui n’a pas beaucoup de fantasmes, pas beaucoup de besoins sexuels. La tonalité de cette interview est un peu différente de celles lues précédemment !
J’allais justement dire : parlons sexe maintenant !
Diable, allons-y !
Le premier orgasme dont je me souvienne, c’était en montant à la corde – je devais avoir 7 ou 8 ans et je ne savais même pas ce qui m’arrivait. Tu te rappelles du tien ?
… Oh bon sang, non alors ! Laisse-moi réfléchir… Non, je ne vois pas !
Et voilà, à la première question sexuelle, tu sèches. On ne va quand même pas retourner à tes histoires de cœur !
Non, on n’est pas obligé, mais franchement, je n’ai aucun souvenir de ça. Masturbation, ou orgasme aléatoire comme le tien, non, désolé, je ne m’en souviens pas du tout !
Des souvenirs de tes premiers émois érotiques, tout de même ?
Ah, ça, bien sûr !
Dis-moi tout.
Une tante magnifique, trentenaire. Elle formait avec mon oncle un très beau couple, libre ; ils étaient naturistes et souvent, à la mer (j’habite au bord de mer, donc on y allait souvent), je la contemplais. C’était une femme d’une très grande beauté. Je me souviens en particulier d’une scène qui m’avait beaucoup ému. J’avais 13 ou 14 ans. Elle était allongée sur le dos, le maillot tendu entre les deux crêtes iliaques, et je devinais (j’étais donc derrière elle) la naissance de ses poils. BOULEVERSANT ! Et aujourd’hui encore, je revois cette scène en te la décrivant. Brune, cheveux étalés autour de sa tête, maillot jaune…. Elle dégageait un truc terriblement érotique cette M….. M étant l’initiale de son prénom. Sinon, découverte de livres érotiques dans la table de nuit de mon père. En particulier, Histoire d’O, illustré par des photos tirées du film. Lecture intégrale et découverte de ce drôle de monde ! Et aussi, la première fois que j’ai caressé les seins de Nathalie devant son portail !
Nathalie, c’est ta compagne ?
Non, c’était une copine en seconde. Mais je crois bien que ma compagne a les mêmes seins lourds que Nathalie. J’adore toujours les prendre en mains !
Comment décrirais-tu un orgasme à quelqu’un qui n’en a jamais eu ?
Un grand tremblement, un frisson, une tension, une envie de se fondre dans l’autre, l’envie de faire perdurer cette sensation qui est d’autant plus forte que tu sais très bien qu’elle va fatalement cesser à un moment ou à un autre. Ce moment où tu ne sais plus très bien où tu es ni qui tu es, où tu flottes. C’est terrible, un orgasme ! (Pause) Nathalie… Tiens, ça faisait longtemps que je n’avais pas pensé à elle ! L’orgasme, c’est le moment magique et désespérant où tu passes de mentula à fascinus. Le moment où tu passes du pouvoir à la faiblesse qu’il y a après le pouvoir ! C’est le moment fascinant où la force s’engloutit dans le plaisir, dans la jouissance. Extraordinaire, non ?
Est-ce que ce que ce que tu préfères par-dessus tout, c’est l’orgasme ?
Non…. la qualité de la rencontre compte autant, voire plus. J’aime la découverte, la rencontre, le dénuement progressif de la personne et du corps, l’emportement des corps et la fièvre qui va avec. J’aime toucher, sentir, palper, la peau, les poils, les formes, les volumes… J’aime beaucoup les mots du sexe et de la séduction.
Est-ce qu’il y a une expérience, quelque chose que tu as fait un jour, qui surpasse tout le reste dans tes souvenirs ?
Baiser en public. Enfin, je veux dire qu’il y avait du monde autour de nous. Et une expérience de bondage, en suspension.
Maintenant, je veux des détails !
Bondage ?
Les deux, à vrai dire !
Je crois être assez exhibitionniste ! Dans le premier cas : un après-midi de plage naturiste à Cassis. Plage de l’Arène, pour situer au cas où tes lecteurs connaîtraient l’endroit ! À l’époque, ce n’était pas tant homo qu’aujourd’hui. Une rencontre d’une journée. C’est un endroit assez bouleversé, il y a de nombreux éboulis et rochers énormes. Nous étions elle et moi voisins de serviette, séparés par ces rochers. Une brune frisée, autrichienne, vivant à Zurich. Quand je l’ai vue arriver, j’ai tout de suite su que ça allait finir sexuellement. À un certain moment, je me suis mis un peu en hauteur pour dessiner. Elle est venue à moi ; discussion ; elle me demande de voir le dessin : “Are you an artist?”… Et hop, c’était parti. Mais il y avait du monde autour de nous. C’est un endroit où comme souvent, il y a beaucoup d’hommes un peu en manque, et nos ébats et cris et gémissements de plaisirs et aller-retours à la baignade ne sont pas passés inaperçus. Et là, il y a toujours des types pour ne pas trop se gêner et venir mâter… Et nous avons continué comme si de rien n’était… Et je me suis rendu compte là que j’aurais très bien pu faire acteur de films X car je n’éprouvais aucune gêne à baiser avec Connie et à être nu, bandant devant notre parterre de regardeurs qui se branlaient plus ou moins ! Cela m’a d’ailleurs été confirmé lors de la seconde expérience. Le bondage. J’ai répondu à une annonce. On s’écrit, on se téléphone et on prend rendez-vous. J’arrive dans un squat. Elle ferme la porte. Elle : coupe punk, belle fille aux cheveux clairs. Un léger accent de l’Est. Ses premières paroles en refermant la porte sont : je suis une travailleuse du sexe, je suis pute quoi… Tu vois, ça te désarçonne un peu quand même. Elle continue, très gentiment, à m’expliquer qu’elle est d’un pays de l’Est, bardée de diplôme, qu’elle parle cinq langues et qu’elle a choisi de vivre de son corps comme un acte politique, pour ne pas rentrer dans ce monde pourri. À côté de la prostitution, elle a aussi une activité de photographe, et de création de tissus et d’objets en céramique. Et elle adore le bondage et les pratiques BDSM et tout le toutim. Bref, elle m’explique ce qu’elle souhaite : faire des photos d’un homme entièrement nu et suspendu dans le vide. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé nu devant cette femme superbe, elle m’a longuement lié, suspendu, elle a fait des nœuds et des tresses savantes… C’est quelque chose, quand même, de se retrouver comme ça à la merci de l’autre, la queue devant sa bouche et ses mains, elle toute occupée à faire ses effets de cordes. Et quand elle te demande de bander pour faire des photos dans des positions compliquées de contre-plongée, ça fait aussi son petit effet !
J’imagine. Surtout avec quelqu’un que tu ne connais pas.
Attention, pour elle, il n’est pas question que nous ayons des relations sexuelles, c’est juste là son côté créateur qui s’exprime. Ni je ne la touche, ni elle ne me touche. Et c’est justement ça qui est particulièrement troublant. J’étais à sa merci. Totalement. Mais je savais que nous ne coucherions pas ensemble… Mais ce qui fait aussi que cette expérience est belle, c’est que cette femme est très intéressante. Ce qu’elle a te dire sur le corps, le sexe, l’amour et son regard sur les hommes, le couple et la société, tu en ferais des encyclopédies !
C’est une belle expérience. C’est ta seule expérience de bondage ?
J’en ai eu deux ou trois, toujours avec elle et toujours dans les mêmes circonstances, c’est-à-dire qu’on ne couche pas ! Elle a aussi été actrice porno, et au cours d’une discussion, je lui ai dit : “Je me suis toujours demandé si j’aurais pu être acteur porno”, et elle m’a répondu sans hésiter : “OUI” ! Cette expérience d’actrice X a d’ailleurs été très mauvaise pour elle. Traitée comme une merde et au final… pas payée !
Triste réalité.
J’ai eu aussi une expérience de trio ou on nous regardait… J’ai un ami, peintre lui aussi, et libertin, que nous appellerons P. Je devais poser pour lui avec une autre fille. En fait, on devait faire des poses tournantes. Elle et moi pour lui, elle pour nous. Dès la première pose en commun, il n’a pas pu dessiner. Nous, debout sur notre estrade, on a commencé à se caresser, à se toucher et on a finalement passé un après-midi entier, d’une très grande sensualité, à se lécher, se pénétrer et tout ce que tu veux, sous l’œil de P qui nous photographiait, mais n’a pas souhaité participer malgré les sollicitations de ma partenaire. Ce qui est fort dommage ! C’était magnifique. Et je garde pour cette femme une affection particulière.
Elle sera probablement ravie de te lire…
Pour ma part, j’ai quand même réussi, à un certain moment, à m’arracher au plaisir du corps pour revenir à celui du crayon et ce croquis est devenu un tableau !
On peut le voir ?
Oui tu peux le voir… Sur mon blog, dans l’album photo “nu participatif”. Lui c’est moi et elle c’est elle ! Pour l’instant il n’y a que deux photos, Tu ne peux pas te tromper. (NDLR : voir illustrations).
J’avais vu ce dessin, il est très beau.
J’avais un beau modèle !
Ça aide mais ça ne fait pas tout !
Tu as tout à fait raison. Les gens pensent que parce que tu as un beau modèle, tu as automatiquement une belle photo ou un beau tableau… Quelle couillonnade !
Je suis d’accord. C’est plutôt l’inverse, en fait. Il faut surtout avoir un bon peintre ou un bon photographe. Un beau modèle, ça aide, mais ça dépend de ce que tu souhaites faire.
Oui, je me souviens une fois avoir eu une véritable bombe qui ne savait pas poser et qui au bout de cinq minutes a ennuyé tout un atelier ! Et à Auxerre une femme d’environ 45 ans, danseuse et chorégraphe, qui nous laissait pantois. Les artistes du coin se battaient pour l’avoir comme modèle !
Pas plus belle que ça mais tout avait un sens, était élégant, harmonieux…
Voilà deux beaux contre-exemples.
Oui, je m’en sers souvent pour faire comprendre ce qu’est une séance de pose.
Une dernière question, sans laquelle une interview de Sleeping Bag Magazine n’est pas une interview de Sleeping Bag Magazine : crois-tu aux femmes fontaines ?
Je n’y crois pas. Je sais juste que ça existe… mais je n’en ai jamais rencontrées.
Eh bien bonne chance pour la suite, et tiens-nous au courant si ça se produit, tu auras droit à une seconde interview !